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Les mots ostentatoires. Point de vue d’une « catho de souche » sur une charte sans valeur.

colombe

 

Je suis une espèce en voie d’extinction.  Je suis retournée à la foi catholique au début de la vingtaine.  Aujourd’hui, je suis âgée de vingt-cinq ans.  Je suis croyante et pratiquante.  Après avoir étudié l’anthropologie et la théologie, j’ai eu la chance de décrocher un emploi comme animatrice pastorale dans une école secondaire privée.  Le bon Dieu est maintenant présent au détour de chaque conversation : « en quoi étudies-tu », « quel est ton travail ».  À mes amies, on répond parfois « ce n’est pas grave » ou « je te respecte quand même ».  Concrètement, mon travail est d’être signe ostentatoire sur deux pattes.  Après un long cheminement, j’ai été de plus en plus à l’aise de m’afficher.  Je porte sur ma poitrine la croix du sacrifice.  Elle me rappelle que créée à l’image de Dieu, je suis faite par et pour le don.  Je ne souhaite pas brandir à la gueule des autres cet amour dont ils disent ne pas vouloir.  Je désire plutôt ouvrir la porte au dialogue, comme avec cette caissière à l’épicerie qui a ce verset de l’Évangile de Luc tatoué sur le bras.  Après que je l’aie questionné à ce sujet, elle me demanda, étonnée : « tu crois en Dieu?  Tu crois en Jésus? Je fréquente la communauté évangélique!».  Maintenant, je salue Mylène chaque fois que je la croise sur la rue.  Comme le barista de la brûlerie du coin qui, quant à lui, a un pentagramme inscrit dans sa chaire.  Leurs signes religieux ostentatoires ont permis la création d’un lien, même si nos chemins sont foncièrement incompatibles.

 

Je prends la peine d’écrire ces quelques lignes pour répondre à cette idée selon laquelle la charte des valeurs ne cible pas les Chrétiens. Sans doute les principes énoncés par ce document n’ont rien d’inquiétant pour ceux et celles dont la foi se réduit à quelques effluves d’encens, souvenirs issus des Noëls d’antan.  Ils ont en tête une caricature rassurante de la religion, une coquille vide qu’ils entretiennent pour se faire croire qu’ils croient encore. En fin de compte, ce christianisme culturel n’a rien de bien engageant.  Dans ce cadre, croire au bon Dieu, au Père Noël ou à la fée des dents, c’est vrai que c’est un peu équivalent.

 

Pour moi qui ai la certitude d’avoir été sauvée par l’amour inconditionnel du bon Dieu et qui tâche de faire de Jésus Christ le centre de sa vie, le coup est dur à porter.  Le Chrétien n’a pas des « croyances ».  Il a foi en quelqu’un.  Si on me demandait de retirer ma croix, ce serait comme si, soudainement, on m’empêchait de parler de la plus grande histoire d’amour que j’aie vécu jusqu’à aujourd’hui.  C’est comme si on empêchait ma mère d’afficher nos photos de famille dans le bureau où elle recevait pourtant des clients importants, dans une agence gouvernementale de surcroit.  À la fin, j’me dirais sans doute qu’Il s’est humilié davantage pour que ma petite personne puisse simplement écrire ces quelques lignes.  J’me fermerais la gueule et me soumettrais à ce monde qui, de toutes manières, ne m’apportera jamais le salut que j’espère.  Je me réconforterais en me disant nous ne sommes pas du monde.  La charte produirait de fait l’effet contraire à celui escompté : le fossé entre « nous » et « eux » s’agrandirait.

 

Quand je travaillais au téléphone pour un institut public, je ne parlais pas de cet amour fou chaque fois que j’avais quelqu’un au bout du fil.  Sauf cette fois où, dans le cadre d’une enquête sur le cancer, je venais de passer une heure en ligne avec cet homme en phase terminale.  J’avais osé lui dire : « que le bon Dieu vous garde, je vais prier pour vous ».  Il disait croire en une énergie impersonnelle.  Nous avions clos la conversation sur une note chaleureuse, intime, humaine.  Durant les pauses, autour d’un café, ou même entre les appels, je me plaisais à en discuter avec mes collègues et mes superviseurs.  Comme nous discutions, d’ailleurs, de philosophie et de sociologie.  Une collègue m’avait offert, à mon anniversaire, un ensemble d’images pieuses.  Elle avait pris la peine d’inscrire dans la carte qu’elle n’était pas croyante.  Encore une fois, l’ostentation de mes croyances avait permis la création d’un lien, ce qui rendait nos journées drôlement moins drabes.

 

Ces anecdotes un peu fleur bleue ne prouvent rien.  On ne peut rien standardiser à partir d’elles, puisqu’elles relèvent de la complexité des rapports entre personne.  Je crois qu’en même qu’à trop confondre la pluralité de fait à l’idéologie pluraliste, on en vient à établir des normes qui annihilent la possibilité même de l’altérité.  Si l’autre ne peut exister en lui-même, pour lui-même, je n’ai personne à qui m’ouvrir ou à aimer.  C’est dans la rencontre de l’autre que je me reconnais moi-même comme personne.

 

Parce que j’ai la foi, je comprends ceux et celles qui l’ont aussi.  Je comprends que la spiritualité se trouve au cœur des personnes.  Musulmans, juifs, chrétiens et autres : la foi est ce souffle qui nous tient en vie.  Il ne suffit pas d’ « être gentil » et d’ « avoir des valeurs » pour avoir une spiritualité vivante.  Je refuse que des technocrates parlent au nom de mes frères, de mes sœurs et de moi-même.

 

Non, nous n’avons pas besoin de leurs mots plus coupants que des kirpans pour cohabiter pacifiquement.

 

« Jésus oui, l’Église non » Le rapport à l’institution dans la spiritualité (post)moderne

« Ce vieux discours aux relents catholiques est drapé des nouveaux habits du droit de l’enfant à naître. Il ramène la femme au rôle traditionnel de pourvoyeuse de vie, à celui «d’incubatrice d’une grossesse qu’elle n’a pas choisie», pour reprendre l’expression de Patricia LaRue. » -Le Devoir, janvier 2008(1)

Les années 1960 ont marqué l’entrée du Québec dans la modernité sur les plans social, politique et religieux.  La publication de l’encyclique Humanae Vitae, dans lequel le pape Paul VI affirme qu’« un acte conjugal rendu volontairement infécond » ne peut être justifié « par l’ensemble d’une vie conjugale féconde » (2) , a provoqué maintes controverses tant à l’extérieur de l’Église qu’en son sein.  Simone Monet-Chartrand, figure marquante de la Jeunesse Étudiante Catholique, se questionnait : « comment voulez-vous qu’aujourd’hui, j’enseigne à mes grands enfants ce retour à l’obéissance aveugle d’un principe énoncé par un homme qui a préféré se laisser guider par l’aile conservatrice de l’Église plutôt que d’accepter l’évolution? » (3)  L’accès à la régulation artificielle des naissances a été et est toujours au cœur du projet d’émancipation sexuelle porté par la culture (post)moderne.

Cet exemple illustre bien en quoi la crise traversée concerne davantage les sujets et les institutions de l’Église que son contenu.  Comme l’explique Robert Scholtus dans un essai intitulé « Pourquoi l’Église » (4), la lutte féroce menée contre l’institution a laissé place à une désinstitutionalisation des croyances.  La quête de vérité et d’authenticité s’est individualisée, puis relativisée.  Dans les écoles, on a remplacé les animateurs de pastorale par des animateurs de vie spirituelle et d’engagement communautaire.  On n’y offre plus l’enseignement catholique mais l’éveil à l’éthique et aux cultures religieuses.  Sur le plan de la sexualité, la formation a été réduite à une instruction des moyens de contraception disponibles.  On considère qu’en plaçant l’individu face à la pluralité des possibilités, celui-ci sera en mesure de s’épanouir.  L’idéal du self-made man s’est étendu au religieux.  Dans cette perspective, toute institution est soupçonnée de restreindre l’individu dans sa liberté la plus intime.  C’est la dignité même de l’Homme qui est menacée.

À la suite de l’auteur, nous soutenons que le cadre de l’Église, en tant qu’institution humaine et spirituelle, est nécessaire pour établir les balises inhérentes au chemin de foi chrétien.  La révélation doit être éclairée à la lumière d’une Tradition, sans quoi elle risque d’être assujettie aux fantasmes des humains toujours tentés d’organiser le monde en fonction de leurs prérogatives.  En s’appuyant sur la compréhension que l’Église a d’elle-même depuis Vatican II, celle-ci est désormais habilitée à s’engager dans la société pluraliste contemporaine et ce, sans renier qui elle est.  C’est à cette condition qu’elle pourra devenir une instance critique pertinente pour le reste de la société.

L’Église-Peuple de Dieu : une maison bâtie sur le roc

« Quiconque donc entend ces miennes paroles et les met en pratique, je le comparerai à un homme prudent qui a bâti sa maison sur le roc ; et la pluie est tombée, et les torrents sont venus, et les vents ont soufflé et ont donné contre cette maison ; et elle n’est pas tombée, car elle avait été fondée sur le roc. » (Matthieu 7:24-27) (5).

Dans les écrits du Nouveau Testament, Jésus est présenté comme le Révélateur et le Révélé.  Par sa parole et par ses actes, le Christ proclame l’établissement du Règne de Dieu.  Chaque personne est appelée à prendre sa croix et à le suivre sur le « chemin resserré » qui «mène à la vie » (Mathieu 7 :14).  De quelle matière est faite ce chemin ?  Où doit-on aller chercher ce roc sur lequel bâtir sa maison ?  La compréhension que l’Église a d’elle-même a toujours été conditionnée par des éléments de natures culturelle, politique, économique.  Avant le mouvement de décolonisation survenu au XXème siècle, le monde occidental concevait la culture comme un ensemble de savoirs supérieurs à acquérir.  Dans ces termes, le « progrès » de la « civilisation » ne pouvait se faire qu’au prix de la sujétion de populations considérées comme « primitives ».  « Hors de l’Église, point de salut ».  La tentation a été grande de réduire le salut à une récompense obtenue par l’adhésion à un ensemble de préceptes.  C’est cet éthos, qui prescrit l’obéissance désengagée, qui a été remis en question durant les années 1960.  Par la réappropriation de la notion de « Peuple de Dieu », le concile Vatican II a mis en valeur la dimension communautaire et relationnelle du salut.  En prenant racine à cette conception du salut, Humanae Vitae a jeté les bases de la théologie du corps élaborée plus tard par Jean-Paul II.  Le caractère injonctif de l’encyclique doit être compris dans le cadre de l’appel à l’amour et au don de soi qu’il sous-tend.  Son contenu n’est pas complètement étranger aux valeurs portées par le projet de la Révolution tranquille.

Comme le rappelle Scholtus, on ne peut demander « pourquoi l’Église » sans demander « pour qui ».  Par la combinaison des autorités multiples qui la fondent, c’est à dire « les Ecritures, la Tradition, les dogmes, le magistère des évêques, l’infaillibilité pontificale, l’expérience communautaire » (6), l’Église-Peuple de Dieu est un lieu, un espace, où la limite sert la reconnaissance de l’Autre, du différent, de l’irréductible.  Bien qu’elle œuvre dans le monde, l’Église ne peut être justifiée par le monde.  Dans la postchrétienté qui s’amorce, les personnes qui souhaitent emprunter le chemin de la foi pourront se réjouir d’être, à l’image de Jésus-Christ, un « signe de contradiction » (Luc, 2 :38) (7).

L’Église : une instance critique pertinente dans le monde

 

The anthropological study of religion is therefore a two-stage operation : first an analysis of the system of meanings embodied in the symbols which make up the religion proper, and, second, the relating of these systems to social-structural and psychological processes. (Geertz, 1996 : 42, cité par Gosselin, 2006 : 73) (8)

L’anthropologie enseigne que chaque civilisation, chaque culture, est fondée sur une vision du monde que l’on pourrait qualifier de système idéologico-religieux  Alors qu’elle valorise la pluralité des croyances, la modernité se fonde sur un rationalisme abstrait qui ne se reconnaît pas lui-même comme « autre ».  La théorie de l’évolution, qui a été travaillée au sein du cadre matérialiste de la science, sert dorénavant de mythe fondateur dans l’espace public.  L’humanisme hérité des Lumières a favorisé l’émergence d’une spiritualité pensée comme a-idéologique, a-historique, a-culturelle.  Comme l’explique Scholtus, le dialogue interreligieux n’est possible qu’à condition que les partis impliqués se reconnaissent comme tels : « un tel dialogue requiert que les religions se reconnaissent mutuellement comme religions, tout en répondant de l’expérience spirituelle qui les constitue et pour laquelle elles sont si ardemment interrogées par les individus d’aujourd’hui » (09).

Tel que mentionné précédemment, l’expérience spirituelle est aujourd’hui vécue comme une quête personnelle de sens et d’authenticité.  Compte tenu que chaque personne recompose sa propre cosmologie à partir d’éléments tirés tantôt de la psychologie, tantôt de la mythologie politique, parfois encore des grandes religions, il devient difficile d’en faire un enjeu discuté en société, chacun ne pouvait que faire l’étalage de ses propres croyances.  Dans ce contexte, les fondements idéologico-religieux sur lesquels sont fondés certains des grands projets de libération de début de XXIème siècle ne peuvent être explicités.  Alors que la spiritualité chrétienne invite l’Homme à sortir de lui-même afin de s’inscrire dans un ordre qui le dépasse, qui le transforme, la spiritualité humaniste moderne l’aliène à ses propres désirs.  De par sa structure, elle pose la légitimité morale d’un acte en fonction de la manière dont il repose sur la volonté de l’individu.  Cette vision du monde est largement portée par le projet féministe occidental.  À ce sujet, Azar Majedi, présidente de l’Organisation pour la Libération des femmes en Iran demandait :

 Si une femme dit quelque chose, si une femme fait quelque chose, alors cette chose est irréprochable. Et lorsque plusieurs femmes se réunissent pour organiser une action, alors tout le monde doit se taire, sinon on offense la sainte !

Moi j’ose offenser cette sainteté, comme je l’ai déjà fait souvent dans ma vie. Une action organisée par des femmes ne justifie pas en soi un acte, pas plus qu’elle ne le rend juste ou « révolutionnaire ». L’acte doit être jugé pour ses propres mérites.

Simplement pour clarifier cela, et sans vouloir amalgamer les deux actes, je donne un exemple. Si des femmes organisent la prostitution, cela changerait-il l’essence de la prostitution ? Si une maison close a été créée par des femmes et est gérée par des femmes, cela change-t-il le fait qu’il s’agisse de prostitution organisée ? (10)

Conclusion

 Le saut hors de l’institution a été une voie empruntée par plusieurs pratiquants au cours de la seconde moitié du XXème siècle.  La légitimité de l’Église a été remise en question plus férocement encore lorsque celle-ci s’est imposée comme un « signe de contradiction » avec son époque.  Il serait faux de croire que le rôle traditionnel de la femme-pourvoyeuse de la vie promu par l’Église réduit celle-ci à une vulgaire « incubatrice ».  Cette image renvoie à l’expérience circonscrite qu’a entretenu la société québécoise avec le clergé catholique à un moment donné de son histoire.  Si le rejet du discours institutionnel a pu être justifié pendant un temps par l’attrait de la nouveauté, la caricature dont il est aujourd’hui l’objet n’a rien de bon pour tout esprit en quête d’intelligence.

D’une telle analyse découle forcément une perception de la mise au monde des enfants comme un problème dont les femmes doivent être libérées. Il ne s’agit plus alors de les aider à choisir de vivre ou à de ne pas vivre la maternité, ou à choisir le nombre d’enfants qu’elles souhaitent avoir, mais plutôt d’éviter la maternité, son contingent de problèmes et les limites sociales qu’elle impose (Maria De Koninck, 1990 : 123). (11)

La libération conçue de cette manière a de sérieuses implications anthropologiques.  Ce n’est qu’à condition de s’ancrer dans un cadre de pensée « autre » que le penseur occidental arrivera à mieux cerner les éléments qui structurent son propre univers.  La théologie, qui s’enracine à une tradition de pensée antérieure aux sociétés industrielles, permet la création d’un espace de réflexion propice à la transformation du monde.  «S’il n’y a pas de dehors, en effet, le totalitarisme ne peut être renversé, les rapports de pouvoir ne peuvent se transformer, pas plus que les rapports que le sujet entretient avec lui-même » (Laplantine, 2007). (12)

BIBLIOGRAPHIE

1)   Miles, Bryan. 2008 (26 janvier).  « L’avortement, 20 ans de lutte sans merci » In Le Devoir [En ligne] http://www.ledevoir.com/societe/justice/173440/l-avortement-20-ans-de-lutte-sans-merci, consulté en octobre 2012.

2)   Paul VI.  1968.  Humanae Vitae.  Lettre encyclique de sa sainteté le pape Paul VI sur le mariage et la régulation des naissances.  [En ligne] http://www.vatican.va/holy_father/paul_vi/encyclicals/documents/hf_p-vi_enc_25071968_humanae-vitae_fr.html, consulté en octobre 2012.

3)   Monet-Chartrand, Simone.  1968 (6 août).  « Des mères de famille qui ne veulent plus retourner à l’époque de la lampe à pétrole » In Le Devoir [En ligne]  http://bilan.usherbrooke.ca/voutes/callisto/dhsp37/lois/FemvsHV.html, consulté en octobre 2012.

4)   Scholtus, Robert.  2003 (octobre).  « Pourquoi l’Église » In Études, tome 399, p. 351-364.

5)    Matthieu ,7:24-27

6)   Scholtus, Robert.  Op. cit, p. 363.

7)   Luc, 2 :38

8)    Gosselin, Paul. 2006. La Fuite de l’absolu. Québec : Samizdat, 489 p.

9)   Scholtus, Robert.  Op. cit, p. 359.

10) Majedi, Azar.  2012 (avril).  « Exploiter la nudité devient-il un acte révolutionnaire si les femmes le posent? » In Sisyphe [En ligne] http://sisyphe.org/imprimer.php3?id_article=4167, consulté en octobre 2012

11)  De Koninck, Maria.  1990.  « L’autonomie des femmes : quelques réflexions-bilan sur un objectif » In Santé mentale au Québec, vol. 15, n° 1, p. 120-133

12)  Laplantine, François, 2007.  Le sujet. Essai d’anthropologie politique, Paris : Téraèdre,  163 p.

Envolée lyrique pour un public de droite. La gauche, la droite, la grève.

La gauche, la droite, la grève. 

« Être homme, c’est précisément être responsable. C’est connaitre la honte en face d’une misère qui ne semblait pas dépendre de soi. C’est être fier d’une victoire que les camarades ont remportée. C’est sentir, en posant sa pierre, que l’on contribue à bâtir le monde. »

Antoine de Saint-Exupéry

C’est lors de mon entrée à l’Université, en 2007, que j’ai connu pour la première fois le milieu gauchiste québécois.   Ayant toujours eu un caractère assez contestataire, c’est tout naturellement que j’ai intégré le mouvement étudiant.  Après deux mois de cours, nous étions déjà en grève.  Durant cette période, j’ai appris les rudiments de la politique étudiante : je me suis prononcée en assemblée générale, j’ai participé à un congrès national, je suis allée à Montréal pour exprimer mon désaccord avec les décisions du gouvernement Charest.  Pour la première fois, j’ai cru rencontrer des gens qui étaient « comme moi ».  Notre lune de miel a duré jusqu’à ce qu’on me dise que « la charité, c’est une affaire de droite ».  À mon désir d’aider financièrement les étudiants dans le besoin, on m’a répondu qu’il fallait « rester en lutte ».   L’intérêt potentiel des gens du HEC envers ce projet a fait de moi une traitre.  Pas question de me battre pour distribuer de l’argent, ai-je pensé.  Tant pis pour vous, je quitte le navire.  Arrangez-vous avec votre lutte-spectacle qui se réduit à marcher dans la rue.

Tous individualistes

C’est en me fondant sur cette expérience que j’ai amorcé une réflexion sur la dichotomie gauche-droite en vogue dans les sociétés occidentales.  J’ai toujours eu tendance à m’intéresser aux situations extrêmes.  À l’instar du cinéaste Pierre Falardeau, je pense que l’être humain s’y révèle dans toute sa grandeur, dans toute sa misère aussi.  En étudiant les enjeux liés aux questions de sexualité, de vie et de mort, j’ai été forcée de constater que la gauche et la droite s’alimentent à la même conception de l’être humain.  L’individualisme sensé être combattu dans les grandes manifestations pour l’accès aux droits sociaux sert de fondement au progressisme.  On exige des plus fortunés de ce monde des concessions que peu d’entre nous sommes prêts à faire.  Plus explicitement, au risque de vous choquer : on s’attend du gouvernement Harper qu’il épargne des vies (ex : registre des armes à feu, exportation de l’amiante, guerre en Afghanistan) alors qu’on refuse de la laisser croitre en notre sein.  On s’attend de nos élus qu’ils nous considèrent comme autre chose que des clients alors qu’on légitime le discours des « travailleuses du sexe » pour qui la sexualité se réduit à une simple marchandise.  « Au nom du libre choix », dit-on.

C’est parce que je refuse de porter un dossard qui ne me convient pas que j’ai préféré, jusqu’à il y a une quinzaine de jours, de rester loin des agitations de la grève.  Lentement mais surement, Internet aidant, j’ai commencé à prendre part aux débats.  Maintenant que j’ai un pied dedans, je ne veux plus en sortir.  Il y a des moments où l’on se doit de prendre position.

Le Québec : un village d’Astérix

 

Si je ne me sens toujours pas intimement liée à la gauche québécoise,  je déplore avec elle le grand pillage organisé par le gouvernement Charest.  J’aime le Québec.  Je suis fière de faire partie d’une société distincte qui a élaboré les institutions nécessaires pour maintenir l’égalité des chances.  Encore aujourd’hui, nous restons l’endroit en Amérique du Nord où l’éducation est la plus accessible.  Un véritable village d’Astérix.  Mon histoire familiale reflète bien la mobilité sociale dont nous avons pu bénéficier.  Mon arrière-grand-mère a épousé un chef de gare.  Ma grand-mère a enseigné dans une école de rang à Sainte-Rose, en Beauce.  Ma mère dirige toujours les finances d’une organisation parapublique.  En septembre prochain, j’entamerai une maitrise qui me mènera, je l’espère, à des études de doctorat.  Je n’ai rien à envier à nos voisins du Sud.  Ni même au Rest Of Canada.

On m’a reprochée, cette semaine, de parler en termes de colonialisme pour faire référence à ce qui se passe présentement sur la scène politique québécoise.  Le terme néo-colonialisme aurait été plus juste : à défaut de dominer une population par la force, on lui fait gober un système idéologique qui l’amène à agir à l’encontre de ses intérêts.  Nous sommes de plus en plus nombreux à intégrer le discours responsabiliste qui nous dicte que notre participation au monde doit être, essentiellement, d’alterner les rôles de producteur et de consommateur.

-Sois responsable.  Endettes-toi.  Crée de la richesse.  Tes intérêts sont les miens.

Tout porte à croire que le gouvernement actuel agit à titre d’homme de paille pour des élites transnationales qui n’en ont rien à faire, des Québécois et des Québécoises.  Ces derniers le lui ont bien rendu : rappelons-nous qu’ils n’ont été que 33 % à voter pour lui aux dernières élections.

Pas de société sans projet commun.  Pas de communauté sans interdépendance.

Comme je l’ai mentionné précédemment, je me suis toujours retrouvée à étudier des situations difficiles.  Après m’être plongée dans l’univers du tourisme sexuel, c’est la maladie, la souffrance et la mort qui ont retenu mon attention.   Je suis tombée sur une entrevue  de Cécile Paillet, atteinte d’un cancer du sein, qui décrit sa fin de vie:

« Ce n’est pas mauvais, d’être plus dépendant.  Ça nous situe là où on doit être.  On nait et on  meurt dépendant, extrêmement dépendant.  Ça peut nous inciter à un abandon, à un laisser prise.  En demandant de l’aide, on permet à d’autres d’agir, d’exprimer leur générosité.  Ce qui n’est pas mauvais.  On crée une communauté. »

On tente maintenant de nous faire croire qu’on y arrivera tous seuls, chacun pour soi.  C’est une attitude contraire à l’instinct de survie.  En tenant ce discours, nous sommes en train de faire tomber les barrières que nos prédécesseurs ont érigé dans l’espoir nous protéger des invasions barbares.

On nous a appris des langages différents qui ont fait en sorte que nous n’arrivons plus à nous comprendre.  Soit.  C’est pour cette raison que j’essaie tant bien que mal de vous écrire en y mettant tout mon cœur.  Un cœur, même Arielle Grenier en a un.

Ultimement, manger du tofu, voter pour la grève ou défrayer les coûts de son éducation ne fait de quiconque une bonne ou une mauvaise personne.  L’important, c’est de savoir où se situe son engagement.

Ils sont maintenant soixante-mille à réclamer votre support car ils veulent étudier.   Elle est là, leur part.  En mettant tous leurs efforts dans l’atteinte de leurs objectifs, ils deviendront les piliers du Québec de demain.  Ce n’est pas en travaillant une vingtaine d’heures par semaine qu’ils atteindront l’excellence.  Vous-le-savez.

Au nom de quoi allez-vous le leur refuser?

Au nom de quoi allez-vous répondre favorablement à leur demande?

Au service de qui êtes-vous?

Au service de la dette et des banquiers?

Pas de « mais ».

C’est dans les moments extrêmes que l’être humain se révèle.

Et seuls les fous ne changent pas d’idée.

Vive l’Islande!

«Le courage de se lever». L’opportunisme de Choi Radio X.

En septembre dernier, celui qu’on appelle ‘le bourreau de Beaumont’ a été libéré après avoir passé quatorze ans derrière les barreaux. Inculpé pour avoir violenté, martyrisé, ses enfants, il réside maintenant non loin de chez moi, dans un quartier de la basse-ville de Québec. Il n’en fallait pas plus pour que les médias sautent sur l’occasion pour en faire leurs choux gras.  Dominic Maurais, de CHOI Radio X, a appelé pendant plusieurs jours la population à avoir le «courage de se lever» : pour cet animateur, il est impératif que l’identité du bourreau soit révélée à la population pour que celle-ci puisse s’en protéger.  Selon un auditeur avec qui j’ai discuté du dossier, cet intérêt pour la dénonciation des monstres locaux constituerait une manière de s’engager dans la communauté. Des réactions similaires ont pu être observées lors de l’Opération Scorpion menée par la police de Québec : on sortait dans la rue pour brandir des drapeaux contre la prostitution juvénile.  Plus récemment, des équipes de journalistes ont piégé des prédateurs sexuels par le biais d’Internet. La tactique est facile: il suffit de se créer un profil de jeune fille et d’attendre que les loups vous interpellent. Ensuite, on capture l’image de la bête, on l’insère dans un reportage et on se targue d’avoir réussit la dure chasse aux pédophiles.  On pourrait croire que ces prédateurs ont la vie dure en cette époque qui leur est apparemment si hostile.  Et pourtant.

Hypersexualisation et pédophilisation de l’espace public

Plusieurs chercheurs en sciences sociales, dont Richard Poulin, ont dénoncé ce qu’ils ont qualifié de pédophilisation de la culture. Ce sociologue rattaché à l’Université d’Ottawa a documenté les transformations survenues dans l’univers pornographique depuis son entrée dans la modernité à aujourd’hui. Il y a répertorié une hausse importante des images renvoyant à l’enfance et à l’adolescence, de 1 % à 25 % du contenu publié si je ne m’abuse. De 1975 à 1988, Hustler a publié le comic strip Chester the Molester, qui mettait en scène un violeur de jeunes filles. Dwaine B. Tinsley, auteur de la bande dessinée, a continué être publié alors même qu’il subissait une peine d’emprisonnement pour avoir agressé sa propre enfant.

Cette pédophilisation de la pornographie a teinté de manière importante la culture populaire. À la télévision, dans les téléséries et les vidéoclips, femmes et fillettes échangent leurs habits. Ces dernières sont dorénavant tenues de correspondre aux mêmes normes, que l’American Psychological Association a utilisé pour définir le phénomène de l’hypersexualisation :

  • a person’s value comes only from his or her sexual appeal or behavior, to the exclusion of other characteristics;
  • a person is held to a standard that equates physical attractiveness (narrowly defined) with being sexy;
  • a person is sexually objectified—that is, made into a thing for others’ sexual use, rather than seen as a person with the capacity for independent action and decision making;
  • and/orsexuality is inappropriately imposed upon a person.

Puisque fondés sur ce même idéal d’objectivation de soi même et d’autrui, l’explosion des industries du sexe, l’hypersexualisation des espaces publics et la prédation des enfants apparaissent comme des processus intimement liés les uns aux autres. Il est d’ailleurs intéressant de noter que le phénomène de l’hypersexualisation a, du point de vue du développement psycho-sexuel, un impact comparable à l’agression sexuelle.  L’American Psychological Association a noté, dans son rapport sur la sexualisation des filles, des conséquences sur les plans émotifs et cognitifs, sur les plans de la santé physique et mentale, le tout joint à l’élaboration d’une conception particulière de la féminité et de la sexualité.  Jusque dans les années 90, on distinguait les jeunes victimes d’agression de par leur attitude jugée provocante. Dans le contexte actuel, en témoignait ce médecin ayant plusieurs années d’expérience au service de la Fondation Marie-Vincent, cet indicateur est devenu très difficile à déceler.

Le diable comme bouc émissaire

À mon avis, bien que cela soit déplorable, il y aura toujours des cas isolés de maltraitance sévères à l’égard des enfants. La société québécoise a convenu que cela était inacceptable et elle s’est dotée d’outils pour y mettre un terme. Bien que ceux-ci soient imparfaits et restent à aiguiser, ils dénotent un consensus social qui n’est plus à discuter. Si l’objectif de la campagne de Dominic Maurais est de «protéger les niaiseuses d’elles-mêmes» et, surtout, de «protéger les enfants», je l’invite à vraiment faire preuve de courage en s’attaquant aux industries qui s’alimentent à même les déchets laissés pour compte par les pédophiles.

En effet, on estime entre 80 % et 90 % des femmes qui travaillent dans les industries du sexe se sont faites agresser durant l’enfance. Au  Canada, l’âge moyen d’entrée dans la prostitution tourne autour de quatorze ans. Cela n’a pas empêché Choi Radio X de offrir sa tribune aux promoteurs des industries du sexe, qu’ils soient tenancier de bordel, psychiatre pro-légalisationpropriétaire de bar de danseuses, spécialiste des augmentations mammaires ou secrétaire devenue en ‘actrice’ porno. C’est aussi Choi R adio X qui se trouve à la source de la lucrative campagne de marketing cachée derrière l’élaboration du Dreamteam. Finalement, au printemps dernier, la station a collaboré à la promotion de la tournée québécoise de Samantha Ardente. Cette-dernière avait pourtant mentionné, sur les ondes de la station, les conséquences néfastes de ses pratiques sur la relation qu’elle entretenait avec sa fille.

Conclusion

Les jeunes filles qui naviguent sur la toile connaissent depuis longtemps l’existence des loups qui rôdent autour d’elles. Il est probable de croire que celles-ci réagissent différemment en fonction de l’idée qu’elles se font d’elles-mêmes et des normes auxquelles elles tentent de correspondre. Il est possible de se questionner sur la réaction qu’aura la fille de madame ardente lorsqu’on l’approchera à son tour.  En renforçant les balises culturelles au sein desquelles l’objectivation de soi est légitime, valorisée et encouragée, Le groupe Radio X, RNC médias et Genex communications posent un acte qui dont les conséquences atteindront la collectivité de manière beaucoup plus importante qu’un acte barbare isolé.

Isabelle, participante au calendrier Dreamteam citée dans un autre billet, disait:

«Le but de faire le calendrier, c’était de me donner la confiance de me prouver que j’étais capable d’être vraiment belle. Oui, cette expérience m’a donné de la confiance en moi, beaucoup.» «C’est sûr qu’on ne se sent pas tout à fait à l’aise, on avait juste une p’tite robe de chambre qu’il fallait enlever pour prendre les photos. Mais je ne me suis jamais posée de questions parce que je savais que toutes les filles allaient passer par là. On allait toutes passer par là si on voulait vraiment l’faire. […] C’est sûr que des fois je trouvais pas que ça avait sa place de faire ça. Mais y’a fallu que j’vive avec pis que j’le fasse. Je l’ai assumé, j’ai pas l’choix, c’est fait, c’est passé. »

Lors de son passage à TLMEP, en 2009 , Cœur de pirate commentait la publication de ses photos de charme sur le web :

«J’espère que cela puisse servir d’exemple. Ce n’est que le quart de ce qu’il peut arriver à une fille qui n’a pas confiance en elle-même».

 Le courage consiste à surmonter la peur pour affronter un danger. Le bourreau qui vit à moins d’un kilomètre de chez moi ne me fait pas peur. Ce qui me gruge vraiment, c’est de devoir chaque jour combattre cette idée comme quoi je n’ai de valeur que de par le regard que les autres posent sur mes fesses. Cette idée même qui en jette plus d’une sur les plateaux des pornocrates. Et qui, indirectement, remplit les poches des animateurs de Choi Radio X.  

Alors m’sieur Maurais, s’il vous plait, voulez-vous bien avoir le courage de vous lever et de combattre avec moi ces industries milliardaires et criminelles que l’entreprise pour laquelle vous travaillez encense régulièrement?  Pour cela, il faudra sans doute remettre en question certains des principes sur lesquels vous vous appuyez quotidiennement pour faire votre travail.  Il faudra sans doute aussi adapter vos pratiques à vos nouvelles valeurs.  Là est le danger lorsqu’on prend position.  Pour changer le monde, il faut commencer par soi-même.  Pas seulement gueuler au micro.  Nous ne somme pas dupes.     


L’esprit anthropologique.

Au même moment où j’écrivais mon billet sur le monde arabe, en mars dernier, Jean-Michel Landry, diplômé de l’Université Laval en anthropologie, a publié une lettre d’opinion dans la presse : «les sociétés arabes réclament la dignité».

On le voit chaque jour un peu plus: la grande colère du monde arabe nourrit toutes sortes d’espoirs. Elle réjouit d’une part tous ceux qui croient qu’un peuple trouve dans la solidarité et l’organisation collective la force nécessaire pour combattre les pires gouvernements. D’autre part, quantité d’analyses projettent sur cette effervescence quelques-uns des fantasmes historiques de l’Occident moderne. Au détriment, me semble-t-il, des aspirations politiques des peuples arabes.

Il y a d’abord cette foi tenace en l’avènement d’une ère «post-islamiste» au Moyen-Orient. La révolution égyptienne inaugure une ère post-islamiste, nous dit-on, car elle fut l’oeuvre de mouvements séculiers. De prime abord, rien n’étonne dans cette analyse. On nous a tant répété qu’islam et démocratie sont antithétiques qu’il paraît naturel de déduire que la force politique de l’islam décline lorsqu’un peuple musulman réclame la démocratie.

Un fait, hélas, résiste à l’analyse: 95% de la population égyptienne souhaite voir l’islam jouer un plus grand rôle politique (Pew Research Center, 2010). Est-ce là un cas d’aliénation collective? Peut-être pas.

À lire!

La gauche n’a pas le monopole de la vertu.

Assise dans un café, je tente de mettre fin à cette session universitaire qui n’en finit plus. Derrière moi, un groupe d’étudiants qui  feuillettent un journal. Ils apprennent, non sans surprise, qu’en 1996, Jack Layton, chef du Nouveau Parti Démocratique du Canada, a été trouvé flambant nu, dans un lit, dans un salon de massage malfamé du quartier chinois de Toronto. La réaction du groupe est spontanée : «peu importe».

Peu importe?

Pour moi, l’information n’est pas à remettre en question. Tout porte à croire que monsieur Layton se trouvait véritablement dans un salon malfamé du quartier chinois de Toronto, salon qui était d’ailleurs régulièrement visité par des policiers à la recherche de mineures. Quiconque a moindrement tâté le terrain saura qu’on ne se trouve pas dans ce genre d’endroit sans raison précise. Quiconque est le moindrement informé sur la prostitution saura que les Triades chinoises ne sont pas reconnues pour être particulièrement galantes envers les femmes qui alimentent leurs maisons closes. Ceux et celles qui s’intéressent un peu plus au sujet ne seront pas sans savoir que l’âge moyen d’entrée dans la prostitution est, au Canada, de quatorze ans. Et que de toutes manières, la réalité de la prostitution ne correspond pas à l’image glamoriséedont la culture de masse ne cesse de nous gaver.

On dira que ceux-ci ont été colportés par des médias conservateurs, appartenant à Québécor.

Malheureusement, la gauche n’a pas le monopole de la vertu. Alors venons-en aux faits.

Ce qui me frappe, dans ces extraits de rapport policier publié par le Toronto Sun, c’est le surréalisme de la réponse donnée par Layton aux policiers :

At first the policemen didn’t realize they were interviewing one of the best-known Toronto politicians who was married to Chow, also a Metro councillor and now the incumbent NDP MP for Trinity-Spadina.The officer’s notebook indicates he asked the suspected john: « Did you receive any sexual services? »He replied: « No sir, I was just getting a shiatsu. »The cop: « Why did you have all your clothes off? »The suspected john: No answer.The cop: « Are you aware that there were sex acts being done here? »The suspected john: « No sir. »The woman, who was from mainland China, denied masturbating the suspected john but when the question was repeated became nervous and replied, « I don’t know I only come to work today, » the cop’s notes show.His notes also claim he saw the « female dump wet Kleenex into garbage. »

Il y a quelques semaines, une certaine Samantha Ardente faisait les manchettes d’ici et d’ailleurs. On jugeait que sa participation à des films pornographiques faisait en sorte que sa présence était inopportune dans un milieu scolaire.

Si on peut critiquer de manière raisonnable les pratiques de cette personne de par la position sociale qu’elle occupe, il me semble d’autant plus légitime de nous questionner sur celles d’un homme qui risque d’influencer de manière considérable l’avenir des femmes et des hommes d’un océan à l’autre.

D’ailleurs, à cet effet :

En 2003, la députée néo-démocrate de Vancouver Lybby Davis demandait la création d’un sous-comité dans le but d’envisager la création de bordels légaux dans le cadre des Jeux Olympiques de 2010. Des groupesd’anciennes femmes prostituées et de femmes issues des Premières Nations s’étaient vivement opposées au projet.

Plus récemment, le Nouveau Parti Démocratique a appuyé Terri-Jean Bedford, Valerie Scott et Amy Lebovitch dans leur procès qui visait à décriminaliser totalement le système prostitutionnel. Wikipedia nous apprend que l’une des plaignantes a déjà été condamnée pour avoir été en charge d’une maison de débauche et qu’une autre étudie présentement le business à l’Université de Toronto dans l’objectif avoué d’ouvrir un bordel.

Bien que la cause soit toujours en appel, il s’avère tout à fait réaliste de croire que sous le couvert de l’humanisme s’instaurera une industrie qui, fon-da-men-ta-le-ment, n’en a rien à faire de nous toutes, de nous tous.

Et pourtant.

Un sondage en ligne réalisé par Angus Reid, dont les résultats ont été publiés aujourd’hui , nous apprend que :

54 % des Québécois sont en faveur du jugement [qui affirme que les lois qui banissent la prostitution sont inconstitutionnelles], ce qui est le plus fort soutien parmi toutes les provinces. Les hommes supportent dans une proportion de 60 % la décriminalisation de la prostitution, comparativement à seulement 38 % des femmes.

Comme la nation québécoise est arrivée dans la modernité «sur le tard», pour reprendre une expression de la sociologie, sans doute est-elle plus vulnérable aux discours «progressistes» qui, je le répète, sous le couvert de l’humanisme, forgent lentement mais sûrement les bases de l’individualisme. L’individualisme est cette conception de l’humain, historiquement et culturellement située, sur laquelle s’appuie l’idéologie néolibérale qui nous dicte qu’il faut «jouir sans entrave» et qu’«il est interdit d’interdire» (Mai 68).

Comme quoi la gauche et la droite peuvent constituer les deux facettes d’un même système et qui, chacune à leur manière, le renforce.


Sommes-nous prêts pour un «été arabe»?

Avant que vous ne commenciez la lecture de ce billet, qu’on se le tienne pour dit : je ne possède que très peu de connaissances à propos de l’histoire sociale et politique des pays du Moyen-Orient sur lesquels l’actualité a focalisé au cours des dernières semaines.  Avant les manifestations qui ont commencé en Tunisie, tout ce que je savais à ce sujet pouvait se résumer par «il y a là-bas des dirigeants pas très gentils qui rendent la vie de leurs citoyens pas très jolie».  Bref : j’en connaissais aussi peu que vous.  Ce n’est donc pas sur les fondements de ce qu’on a appelé «le printemps arabe» que je me questionnerai au cours des prochaines lignes mais sur les réactions suscitées par la médiatisation de ces conflits.  En effet, compte tenu qu’aucun de mes professeurs d’anthropologie n’a osé émettre de commentaires à propos de ce dossier, je me suis retrouvée très étonnée de lire tout le monde s’exclamer, sur les réseaux sociaux, les forums et les blogues, et célébrer la fin de cette «grande noirceur».
Et si cette joie était davantage l’expression d’un soupir de soulagement que d’un réel sentiment de solidarité?
Je m’explique.

Comme l’illustre ce reportage présenté par Radio-Canada il y a quelques années, les représentations des Arabes n’ont jamais été très flatteuses dans les productions américaines.  Un spécialiste, interrogé dans le cadre du reportage, explique que ce sont les réalisateurs américains qui ont le plus souvent essentialisées et assimilées les femmes musulmanes à un rôle esthétique de femme fatale, mystérieuse, exotique, sinon de terroristes.  De ce fait, les sociétés arabo-musulmanes ont été beaucoup plus progressistes que les réalisateurs qui les ont représentées.  Cela fait déjà un bon moment que les femmes égyptiennes, tunisiennes et iraniennes ont accès aux études universitaires.  Qu’elles occupent des postes non-négligeables dans leur communauté.  Qu’elles se sont émancipées de certains carcans traditionnels.  Bien qu’il puisse apparaître évident qu’il reste du travail à faire, il serait ridicule de croire que la situation des femmes musulmanes n’a pas évolué dans plusieurs pays.  Pour la plupart des commentateurs de l’actualité, cela ne semble pas suffisant.  Elles ne seront libérées que lorsqu’elles seront devenues occidentales et ce, en tous points.  En témoigne cet extrait de Richard Martineau qui trouve absurde de voir des femmes voilées (il utilise le terme burqa, mais il n‘y en a aucune sur l‘image présentée) manifester dans la rue :

«il est quand même assez ironique de voir des femmes en burqa lutter pour la « liberté »…».

Aurait-on pu dire : «il est quand même assez ironique de voir des femmes ayant eu recours à la chirurgie plastique lutter pour la  »liberté »?»  Cela pose la question : est-ce dans l’occidentalisation que réside la «libération»?

Alors que j’étais en plein choc culturel, au Sénégal, j’ai rencontré au village l’anthropologue Sylvain-Landry Faye.  Comme il avait déjà séjourné au Québec, dans le but de poursuivre des études post-doctorales, il a pu me donner une opinion assez nuancée sur la question de la condition de la femme au Sénégal comme au Québec.  Il a conclu en me rappelant que le féminisme occidental était intimement lié à notre conception très individualiste de la personne humaine.  J’entends ici «individu» au sens propre du terme, c’est à dire au sens de la personne prise en elle-même et qui agit pour elle-même, sans tenir compte des obligations qui découlent du réseau social au sein duquel elle s’inscrit.  Comme c’est cette conception de la personne humaine que plusieurs sociétés rejettent, ce n’est pas demain la veille que l’on verra le féminisme occidental fleurir partout dans le monde.
Et c’est très bien comme ça, car l’étude des sociétés autres nous renvoie nécessairement à nos propres faiblesses.  Si le processus de neutralisation culturelle (les sociologues parlent quant à eux de «déculturation») entamé depuis la colonisation est mené à terme, probablement nous croirons-nous rapidement dans «le meilleur des mondes».
J’en reviens à ma question initiale :

Et si cette joie était davantage l’expression d’un soupir de soulagement que d’un réel sentiment de solidarité?

Et si n’avions-nous pas tendance à projeter nos propres aspirations sur les images présentées dans les médias?  Et si, au fond de nous, n’étions-nous pas en train de nous dire : «enfin, ils sont revenus à la raison.  Ils vont pouvoir laisser leur sale religion, écouter du LadyGaga le vendredi soir, manger des bigmacs le samedi et être tellement modernes le dimanche.  Vous voyez, finalement, nous sommes tous les mêmes. »

Nous avons célébré le printemps arabe.  Sommes-nous prêts pour un été arabe?

Les grands récits révolutionnaires en ont trompé plus d’un.

Sur ce, je vous laisse sur ces extraits de Burquette, une bande dessinée créée par Francis Desharnais, facile à trouver pour qui sait chercher un peu.  L’histoire : un intellectuel québécois désespère de voir l’esprit de sa fille être submergée de superficialité.  Il l’oblige donc à porter une burqa pour toute la durée de l’année scolaire.  Cocasse.