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«Le courage de se lever». L’opportunisme de Choi Radio X.

En septembre dernier, celui qu’on appelle ‘le bourreau de Beaumont’ a été libéré après avoir passé quatorze ans derrière les barreaux. Inculpé pour avoir violenté, martyrisé, ses enfants, il réside maintenant non loin de chez moi, dans un quartier de la basse-ville de Québec. Il n’en fallait pas plus pour que les médias sautent sur l’occasion pour en faire leurs choux gras.  Dominic Maurais, de CHOI Radio X, a appelé pendant plusieurs jours la population à avoir le «courage de se lever» : pour cet animateur, il est impératif que l’identité du bourreau soit révélée à la population pour que celle-ci puisse s’en protéger.  Selon un auditeur avec qui j’ai discuté du dossier, cet intérêt pour la dénonciation des monstres locaux constituerait une manière de s’engager dans la communauté. Des réactions similaires ont pu être observées lors de l’Opération Scorpion menée par la police de Québec : on sortait dans la rue pour brandir des drapeaux contre la prostitution juvénile.  Plus récemment, des équipes de journalistes ont piégé des prédateurs sexuels par le biais d’Internet. La tactique est facile: il suffit de se créer un profil de jeune fille et d’attendre que les loups vous interpellent. Ensuite, on capture l’image de la bête, on l’insère dans un reportage et on se targue d’avoir réussit la dure chasse aux pédophiles.  On pourrait croire que ces prédateurs ont la vie dure en cette époque qui leur est apparemment si hostile.  Et pourtant.

Hypersexualisation et pédophilisation de l’espace public

Plusieurs chercheurs en sciences sociales, dont Richard Poulin, ont dénoncé ce qu’ils ont qualifié de pédophilisation de la culture. Ce sociologue rattaché à l’Université d’Ottawa a documenté les transformations survenues dans l’univers pornographique depuis son entrée dans la modernité à aujourd’hui. Il y a répertorié une hausse importante des images renvoyant à l’enfance et à l’adolescence, de 1 % à 25 % du contenu publié si je ne m’abuse. De 1975 à 1988, Hustler a publié le comic strip Chester the Molester, qui mettait en scène un violeur de jeunes filles. Dwaine B. Tinsley, auteur de la bande dessinée, a continué être publié alors même qu’il subissait une peine d’emprisonnement pour avoir agressé sa propre enfant.

Cette pédophilisation de la pornographie a teinté de manière importante la culture populaire. À la télévision, dans les téléséries et les vidéoclips, femmes et fillettes échangent leurs habits. Ces dernières sont dorénavant tenues de correspondre aux mêmes normes, que l’American Psychological Association a utilisé pour définir le phénomène de l’hypersexualisation :

  • a person’s value comes only from his or her sexual appeal or behavior, to the exclusion of other characteristics;
  • a person is held to a standard that equates physical attractiveness (narrowly defined) with being sexy;
  • a person is sexually objectified—that is, made into a thing for others’ sexual use, rather than seen as a person with the capacity for independent action and decision making;
  • and/orsexuality is inappropriately imposed upon a person.

Puisque fondés sur ce même idéal d’objectivation de soi même et d’autrui, l’explosion des industries du sexe, l’hypersexualisation des espaces publics et la prédation des enfants apparaissent comme des processus intimement liés les uns aux autres. Il est d’ailleurs intéressant de noter que le phénomène de l’hypersexualisation a, du point de vue du développement psycho-sexuel, un impact comparable à l’agression sexuelle.  L’American Psychological Association a noté, dans son rapport sur la sexualisation des filles, des conséquences sur les plans émotifs et cognitifs, sur les plans de la santé physique et mentale, le tout joint à l’élaboration d’une conception particulière de la féminité et de la sexualité.  Jusque dans les années 90, on distinguait les jeunes victimes d’agression de par leur attitude jugée provocante. Dans le contexte actuel, en témoignait ce médecin ayant plusieurs années d’expérience au service de la Fondation Marie-Vincent, cet indicateur est devenu très difficile à déceler.

Le diable comme bouc émissaire

À mon avis, bien que cela soit déplorable, il y aura toujours des cas isolés de maltraitance sévères à l’égard des enfants. La société québécoise a convenu que cela était inacceptable et elle s’est dotée d’outils pour y mettre un terme. Bien que ceux-ci soient imparfaits et restent à aiguiser, ils dénotent un consensus social qui n’est plus à discuter. Si l’objectif de la campagne de Dominic Maurais est de «protéger les niaiseuses d’elles-mêmes» et, surtout, de «protéger les enfants», je l’invite à vraiment faire preuve de courage en s’attaquant aux industries qui s’alimentent à même les déchets laissés pour compte par les pédophiles.

En effet, on estime entre 80 % et 90 % des femmes qui travaillent dans les industries du sexe se sont faites agresser durant l’enfance. Au  Canada, l’âge moyen d’entrée dans la prostitution tourne autour de quatorze ans. Cela n’a pas empêché Choi Radio X de offrir sa tribune aux promoteurs des industries du sexe, qu’ils soient tenancier de bordel, psychiatre pro-légalisationpropriétaire de bar de danseuses, spécialiste des augmentations mammaires ou secrétaire devenue en ‘actrice’ porno. C’est aussi Choi R adio X qui se trouve à la source de la lucrative campagne de marketing cachée derrière l’élaboration du Dreamteam. Finalement, au printemps dernier, la station a collaboré à la promotion de la tournée québécoise de Samantha Ardente. Cette-dernière avait pourtant mentionné, sur les ondes de la station, les conséquences néfastes de ses pratiques sur la relation qu’elle entretenait avec sa fille.

Conclusion

Les jeunes filles qui naviguent sur la toile connaissent depuis longtemps l’existence des loups qui rôdent autour d’elles. Il est probable de croire que celles-ci réagissent différemment en fonction de l’idée qu’elles se font d’elles-mêmes et des normes auxquelles elles tentent de correspondre. Il est possible de se questionner sur la réaction qu’aura la fille de madame ardente lorsqu’on l’approchera à son tour.  En renforçant les balises culturelles au sein desquelles l’objectivation de soi est légitime, valorisée et encouragée, Le groupe Radio X, RNC médias et Genex communications posent un acte qui dont les conséquences atteindront la collectivité de manière beaucoup plus importante qu’un acte barbare isolé.

Isabelle, participante au calendrier Dreamteam citée dans un autre billet, disait:

«Le but de faire le calendrier, c’était de me donner la confiance de me prouver que j’étais capable d’être vraiment belle. Oui, cette expérience m’a donné de la confiance en moi, beaucoup.» «C’est sûr qu’on ne se sent pas tout à fait à l’aise, on avait juste une p’tite robe de chambre qu’il fallait enlever pour prendre les photos. Mais je ne me suis jamais posée de questions parce que je savais que toutes les filles allaient passer par là. On allait toutes passer par là si on voulait vraiment l’faire. […] C’est sûr que des fois je trouvais pas que ça avait sa place de faire ça. Mais y’a fallu que j’vive avec pis que j’le fasse. Je l’ai assumé, j’ai pas l’choix, c’est fait, c’est passé. »

Lors de son passage à TLMEP, en 2009 , Cœur de pirate commentait la publication de ses photos de charme sur le web :

«J’espère que cela puisse servir d’exemple. Ce n’est que le quart de ce qu’il peut arriver à une fille qui n’a pas confiance en elle-même».

 Le courage consiste à surmonter la peur pour affronter un danger. Le bourreau qui vit à moins d’un kilomètre de chez moi ne me fait pas peur. Ce qui me gruge vraiment, c’est de devoir chaque jour combattre cette idée comme quoi je n’ai de valeur que de par le regard que les autres posent sur mes fesses. Cette idée même qui en jette plus d’une sur les plateaux des pornocrates. Et qui, indirectement, remplit les poches des animateurs de Choi Radio X.  

Alors m’sieur Maurais, s’il vous plait, voulez-vous bien avoir le courage de vous lever et de combattre avec moi ces industries milliardaires et criminelles que l’entreprise pour laquelle vous travaillez encense régulièrement?  Pour cela, il faudra sans doute remettre en question certains des principes sur lesquels vous vous appuyez quotidiennement pour faire votre travail.  Il faudra sans doute aussi adapter vos pratiques à vos nouvelles valeurs.  Là est le danger lorsqu’on prend position.  Pour changer le monde, il faut commencer par soi-même.  Pas seulement gueuler au micro.  Nous ne somme pas dupes.     


La gauche n’a pas le monopole de la vertu.

Assise dans un café, je tente de mettre fin à cette session universitaire qui n’en finit plus. Derrière moi, un groupe d’étudiants qui  feuillettent un journal. Ils apprennent, non sans surprise, qu’en 1996, Jack Layton, chef du Nouveau Parti Démocratique du Canada, a été trouvé flambant nu, dans un lit, dans un salon de massage malfamé du quartier chinois de Toronto. La réaction du groupe est spontanée : «peu importe».

Peu importe?

Pour moi, l’information n’est pas à remettre en question. Tout porte à croire que monsieur Layton se trouvait véritablement dans un salon malfamé du quartier chinois de Toronto, salon qui était d’ailleurs régulièrement visité par des policiers à la recherche de mineures. Quiconque a moindrement tâté le terrain saura qu’on ne se trouve pas dans ce genre d’endroit sans raison précise. Quiconque est le moindrement informé sur la prostitution saura que les Triades chinoises ne sont pas reconnues pour être particulièrement galantes envers les femmes qui alimentent leurs maisons closes. Ceux et celles qui s’intéressent un peu plus au sujet ne seront pas sans savoir que l’âge moyen d’entrée dans la prostitution est, au Canada, de quatorze ans. Et que de toutes manières, la réalité de la prostitution ne correspond pas à l’image glamoriséedont la culture de masse ne cesse de nous gaver.

On dira que ceux-ci ont été colportés par des médias conservateurs, appartenant à Québécor.

Malheureusement, la gauche n’a pas le monopole de la vertu. Alors venons-en aux faits.

Ce qui me frappe, dans ces extraits de rapport policier publié par le Toronto Sun, c’est le surréalisme de la réponse donnée par Layton aux policiers :

At first the policemen didn’t realize they were interviewing one of the best-known Toronto politicians who was married to Chow, also a Metro councillor and now the incumbent NDP MP for Trinity-Spadina.The officer’s notebook indicates he asked the suspected john: « Did you receive any sexual services? »He replied: « No sir, I was just getting a shiatsu. »The cop: « Why did you have all your clothes off? »The suspected john: No answer.The cop: « Are you aware that there were sex acts being done here? »The suspected john: « No sir. »The woman, who was from mainland China, denied masturbating the suspected john but when the question was repeated became nervous and replied, « I don’t know I only come to work today, » the cop’s notes show.His notes also claim he saw the « female dump wet Kleenex into garbage. »

Il y a quelques semaines, une certaine Samantha Ardente faisait les manchettes d’ici et d’ailleurs. On jugeait que sa participation à des films pornographiques faisait en sorte que sa présence était inopportune dans un milieu scolaire.

Si on peut critiquer de manière raisonnable les pratiques de cette personne de par la position sociale qu’elle occupe, il me semble d’autant plus légitime de nous questionner sur celles d’un homme qui risque d’influencer de manière considérable l’avenir des femmes et des hommes d’un océan à l’autre.

D’ailleurs, à cet effet :

En 2003, la députée néo-démocrate de Vancouver Lybby Davis demandait la création d’un sous-comité dans le but d’envisager la création de bordels légaux dans le cadre des Jeux Olympiques de 2010. Des groupesd’anciennes femmes prostituées et de femmes issues des Premières Nations s’étaient vivement opposées au projet.

Plus récemment, le Nouveau Parti Démocratique a appuyé Terri-Jean Bedford, Valerie Scott et Amy Lebovitch dans leur procès qui visait à décriminaliser totalement le système prostitutionnel. Wikipedia nous apprend que l’une des plaignantes a déjà été condamnée pour avoir été en charge d’une maison de débauche et qu’une autre étudie présentement le business à l’Université de Toronto dans l’objectif avoué d’ouvrir un bordel.

Bien que la cause soit toujours en appel, il s’avère tout à fait réaliste de croire que sous le couvert de l’humanisme s’instaurera une industrie qui, fon-da-men-ta-le-ment, n’en a rien à faire de nous toutes, de nous tous.

Et pourtant.

Un sondage en ligne réalisé par Angus Reid, dont les résultats ont été publiés aujourd’hui , nous apprend que :

54 % des Québécois sont en faveur du jugement [qui affirme que les lois qui banissent la prostitution sont inconstitutionnelles], ce qui est le plus fort soutien parmi toutes les provinces. Les hommes supportent dans une proportion de 60 % la décriminalisation de la prostitution, comparativement à seulement 38 % des femmes.

Comme la nation québécoise est arrivée dans la modernité «sur le tard», pour reprendre une expression de la sociologie, sans doute est-elle plus vulnérable aux discours «progressistes» qui, je le répète, sous le couvert de l’humanisme, forgent lentement mais sûrement les bases de l’individualisme. L’individualisme est cette conception de l’humain, historiquement et culturellement située, sur laquelle s’appuie l’idéologie néolibérale qui nous dicte qu’il faut «jouir sans entrave» et qu’«il est interdit d’interdire» (Mai 68).

Comme quoi la gauche et la droite peuvent constituer les deux facettes d’un même système et qui, chacune à leur manière, le renforce.